mardi 29 mars 2011

Jordi Barre, chanteur catalan des Pyrénées-Orientales

Jordi Barre, l'amour de la langue catalane

À ceux qui ne le connaissait pas, il disait qu'il serait employé d'imprimerie, typographe ou, finalement, chef d'atelier. Ou, plutôt, retraité... En ce moment, il avait 70 ans, et il était déjà une légende de la chanson catalane.
 
Si, dans les années 60, quelqu'un avait dit à Jordi Barre qu'un jour, il serait une des grandes figures de la chanson catalane, il ne l'aurait pas cru. Il ne le croyait pas non plus en octobre 1989, au moment où il montait sur scène en l'honneur du premier "Festival de la Chanson catalane" nouveau né, peu après la sortie de son album "Angelets de la terra", de l'histoire de ces insurgés qui, comme des anges (Angelets), apparaissaient devant les soldats du roi en route pour encaisser des impôts chez les plus pauvres du pays. Il y avait peu de choses que Jordi Barre arrivait à croire, à cette époque-là, s'il était question de son talent et de sa voix.
 
La modestie était une des vertus qui faisaient partie de son charme. Lorsque le "grand Jordi Barre" disait qu'il ne savait pas chanter, il le disait avec une telle sincérité qu'on n'avait pas envie de le corriger, mais de le consoler... le persuader, plutôt, et lui faire comprendre qu'il avait tort.
 
Mais cette même modestie pouvait aussi le torturer. Lorsqu'il se tenait dans la loge des artistes cinq minutes avant de monter sur scène, personne au monde n'aurait pu le persuader qu'il savait chanter. Il avait oublié ses paroles, ses mélodies, et il était hanté par une seule pensée : partir, se cacher du public. "Je ne chante pas", était tout ce qu'il avait à dire, et si quelqu'un essayait de lui parler de ses succès, il était même capable de se fâcher.
 
Bref, Jordi Barre souffrait du trac. "Penses-tu vraiment que je serai à la hauteur ?" était une des questions qu'il répétait dans de tels moments, ou "ils vont être déçus." Lorsque le trac le torturait, il oubliait jusqu'à l'animosité qui l'opposait à certains autres chanteurs. Car Jordi Barre ne chantait pas après n'importe qui. Un chanteur qui, ne serait-ce qu'une seule fois, l'aurait offensé avait intérêt de se tenir éloigné de la scène sur laquelle Jordi se produisait.
 
Sans doute, Jordi Barre avait du caractère. Un caractère doux, la plupart du temps, agréable. Mais pas toujours. Et, de toute manière, il savait ce qu'il voulait. Au moment où il montait sur scène, une fois face au public, les projecteurs dans les yeux, le micro dans la main, la version timide du chanteur avait disparu. Il commençait par adresser à ses fans un grand sourire et puis, il chantait...
 
Quand il était pris par le trac, les organisateurs des concerts et festivals auraient pu prendre peur. Toutefois, ceux qui le connaissaient ne se laissaient pas intimider par son "Je ne peux pas chanter aujourd'hui". Car ils savaient qu'ils pouvaient compter sur Jordi Barre : jamais il n'aurait laisser tomber un organisateur - ou un ami.
 
À l'époque du premier "Festival de la Chanson catalane", Jordi Barre racontait parfois qu'il était un peu fâché contre sa femme. "Pas vraiment fâché", assura-t-il immédiatement, "mais..." Il avait bien compris que sa femme avait peur pour lui. Elle voulait le persuader d'arrêter de chanter, dans l'idée que l'émotion - le trac, la joie de chanter, l'enthousiasme du public - pourrait être trop pour un Monsieur de 70 ans. Toutefois, Jordi Barre ne voulait pas s'arrêter. "Mourir sur scène, ce serait la plus belle mort imaginable", confia-t-il une fois à ses amis.
 
Quand Jordi Barre ne chantait pas, il aimait inviter des amis chez lui, dans son mas au milieu des Aspres, un paysage plutôt sec, où la nature avait le charme des paysages qui luttent pour la survie pendant les mois les plus chauds pour, ensuite, resurgir dans toute leur beauté. Ce n'était pas de grandes fêtes, mais de petites invitations où Jordi se consacrait entièrement à ses amis. Dès qu'il faisait beau - ce qui, dans les Aspres, est presque toujours le cas - il dressait la table assez loin de la maison, dans un coin ombragé duquel on voyait toute la plaine du Roussillon. Jordi aimait regarder cet spectacle qu'il appelait son pays, "el meu país".
 
Lorsque Jordi Barre chantait son pays, lorsqu'il inventait des mélodies soufflées par la tramontane et sa montagne adorée, il était sincère : il l'aimait avec tout son amour. Il disait que son fameux refrain "Parlem català, és la nostra llengua - és la nostra vida" (Parlons catalan, c'est notre langue, c'est notre vie) lui venait carrément du coeur. Il ne faisait pas partie de ceux qui ciblaient un "séparatisme", il voulait juste que la culture vive.
 
La rédaction des Gens du Sud de la France regrette beaucoup que Jordi Barre nous ait quitté. - "Amb ell, el nostra país va perdre una mica de la seva cultura."
Copyright Doris Kneller

jeudi 24 mars 2011

Nîmes, Montpellier, Marseille ou Perpignan : les Gens du Sud sont-ils superficiels et ouverts ?

Micro-trottoir : Les préjugés des gens du Nord et du Sud

Scénario : Montpellier, une longue queue dans une poste plus ou moins au centre de la ville. À côté de la queue, sans soucis d'être écoutée par les autres clients, une jeune dame est scotchée à son téléphone. "Non, je ne reste pas ici", s'adresse-t-elle à son interlocuteur invisible, mais d'une voie qui oblige tout le monde à l'entendre, "je déteste Montpellier. Les gens sont si superficiels. Je reviens à Paris dès que je peux."
 
La plupart des gens font semblant de n'avoir rien entendu. D'autres sourient, et encore d'autres font la grimace. Une dame âgée est la seule à réagir : "Bon voyage !", lance-t-elle, et ses lèvres ne sourient pas.
 
Une dame à Perpignan a évidemment meilleure opinion des gens de la Méditerranée. Malgré les plus de quinze ans - "et demi !" - qu'elle vit déjà au Sud de la France, son accent anglais est toujours audible... ce qui ne l'empêche pas de se sentir "plus française qu'autre chose. Mais", ajoute-t-elle, "je ne pourrais vivre que dans le Sud. Ici, les gens sont beaucoup plus ouverts que dans le Nord. À Paris, si vous souriez à quelqu'un dans la rue, il se sent agressé tout de suite."
 
Deux "jugements" sur les Gens du Sud : "ouverts" d'un côté, "superficiels" d'un autre. Les deux attributs sont-il compatible ?
 
C'est une dame de Marseille qui a une réponse. Elle aussi vient du Nord, du Danemark, et se sent chez elle dans le Sud de la France. "J'en ai assez d'entendre que les gens ici seraient superficiels. Oui, au Nord, tout le monde dit ça. Ils ne comprennent rien. À Copenhague, par exemple, pour rencontrer quelqu'un, il faut qu'on soit introduit. Mais si, au début, on connaît personne qui puisse nous introduire, on ne connaîtra jamais personne." Elle hausse la tête, puis continue : "Ici, les gens sont différents. Ils se parlent, même s'ils ne se connaissent pas. Ils sont toujours prêts à faire connaissance. Au début, ces connaissances sont superficielles, bien sûr. Et pas toutes les connaissances ne deviennent des amis. Mais comment peut-on trouver des amis si on ne commence pas par des connaissances soi-disant 'superficielles' ?"
 
Un Monsieur d'une soixantaine d'années qui vit également à Marseille a trouvé une autre explication. "J'ai passé toute ma vie active à Paris. À Paris, si je voulais fréquenter quelqu'un à titre personnel, j'étais obligé de l'inviter chez moi. Mais avant d'inviter quelqu'un, on veut être sûr que la personne est correcte, n'est-ce pas ? J'attends alors jusqu'à ce qu'on la connaisse mieux. Ici à Marseille, vous n'avez pas besoin d'attendre. On se rencontre sur une terrasse de café et on fait connaissance. On est sur terrain neutre, personne n'a peur de se tromper." - Et pourquoi les Parisiens ne font-ils pas pareil ? Le Monsieur sourit. "Connaissez-vous les prix aux cafés à Paris ? En plus, la plupart du temps, il fait trop froid pour profiter des terrasses de café."
 
Un Nîmois - "je n'ai jamais quitté Nîmes, sauf pour les vacances" - ne voit pas le besoin de réfléchir profondément sur la question. "Ils nous trouvent superficiels ? Eh oui, c'est comme ça. Ils ont probablement raison. Ici, on aime le soleil et la fête. Ça leur plaît pas ? Il n'ont qu'à vivre ailleurs."
 
Une dame dans la trentaine, Nîmoise d'élection - "depuis que je vis à Nîmes j'ai plus d'amis qu'auparavant" - ne pas non plus de problème avec l'attribut "superficiel" : "Si 'superficiel' rime avec 'amis', c'est une bonne chose. Communiquer, se parler, est la seule chose qui compte pour moi."
 
Un étudiant allemand à Montpellier a pris sa décision. "Oui, les gens ici sont plus superficiels qu'en Allemagne, c'est vrai", déclare-t-il. "Ils ne s'interrogent pas à chaque seconde sur le sens de la vie. Et c'est comme ça qu'ils donnent un sens à la vie : vivre, tout simplement. Se faire un bon temps avec le soleil - hm, le soleil, oui, la plupart du temps. J'ai l'intention de revenir et de travailler ici après la fin de mes études."
Copyright Doris Kneller

mercredi 23 mars 2011

Montpellier, Nîmes, Perpignan...
où vivent les Gens du Sud ?

Micro-trottoir : Les "Gens de la Méditerranée"
restent-ils "chez eux" ?

On l'a compris : selon un sondage signé France Soir et Ipsos, 43 pour cent des Français voudrait bien vivre à Montpellier. Et Montpellier n'arrête pas de croître. Au cours de la dernière année, quelque 10.000 personnes se sont transformées en ce qu'on appelle les Nouveaux Montpelliérains.
 
Mais les gens du Sud, sont-ils si contents de leur sort ? Pendant que les "autres" se rapprochent du soleil, les Montpelliérains et autres Méditerranéens cherchent à s'aventurer ailleurs. Ainsi, une Montpelliéraine d'une cinquantaine d'années a fait une découverte intéressante : "J'ai visité Londres, et j'étais invitée au pique-nique dans un petit parc de quartier. Quand les gens ont entendu que je suis Montpelliéraine, tout à coup j'étais entourée... d'une dizaine de personnes nées à Montpellier qui ont fait leur vie à Londres."
 
Est-ce vrai que les "gens du Nord" viennent dans le Sud de la France tandis que les Français du Sud vont ailleurs ? - Une Perpignanaise d'une quarantaine d'années a trouvé sa réponse bien à elle : "Je suis née à Perpignan. Après l'école, j'ai fait mes premières études à Montpellier. Ensuite, j'ai vécu au Canada et en Irlande. Tout cela étaient des expériences magnifiques. Mais finalement, je suis retournée à Perpignan. Et je compte y rester."
 
Toutefois, un Monsieur d'à peu près le même âge qui, comme il dit, est "né Sti" a du mal à trouver de "vrais sudistes." - "J'ai vécu à Nîmes pendant presque dix ans, puis à Montpellier. Mais il est rare que je tombe sur un 'vrai Montpelliérain' ou un 'vrai Nîmois'."
 
Deux jeunes Anglaises, apparemment des étudiantes, qui se promènent à Nîmes aux Jardins de la Fontaine ont fait d'autres expériences. Les deux logent chez des familles originaires de Nîmes, et elles ont l'impression d'avoir à faire avec des gens "du cru". "Le Monsieur de la famille", raconte une d'elles, "sait tout sur Nîmes. Il connaît son histoire, toutes les rues... Et il aime en parler. C'est magnifique." L'autre croit avoir observé la différence entre les Méditerranéens et ceux qui vivent dans le Sud sans y être nés. "On a l'impression," explique-t-elle, "que les gens qui viennent du Nord cherchent le soleil. Tandis que les gens d'ici se cachent en été. Ils ferment les volets et attendent la nuit."
 
Un Monsieur de Béziers n'aime pas parler des "Gens du Sud" en général. "Ici, chaque ville a sa propre histoire. À Béziers, vous trouvez beaucoup de personnes qui y sont nées et qui n'ont jamais eu envie de bouger. Même situation à Narbonne. À Montpellier ou Perpignan, par contre, les gens bougent. Ils ont envie de connaître d'autres endroits. Montpellier est une grande ville, les gens sont plus ouverts, leur éducation pointe plus vers l'extérieur." - Et à Perpignan ? - "Là, c'est le chômage qui envoie les jeunes ailleurs."
 
Un autre sondage soutient que le Montpelliérain "moyen" ne déménagerait qu'une fois tous les huit ans. Toutefois, l'équipe des Gens du Sud de la France a voulu savoir, combien de temps ce citadin "moyen" reste dans sa ville, peu importe combien de fois il déménage. Elle a donc posé la question aux Montpelliérains sur la Place de la Comédie. "Personnellement, je vis ici depuis plus de vingt ans", répond une dame dans la cinquantaine. Et ce chiffre n' rien de rare. Presque la moitié des quelques soixante personnes interrogées sont nées à Montpellier ou logent dans la ville depuis plus de vingt ans. Quelque dix pour cent, par contre, ne vivent à Montpellier que depuis deux à cinq ans. Et encore dix pour cent viennent d'arriver il y a à peine quelque mois et ne comptent rester que quelques mois supplémentaires.
Copyright Doris Kneller